Le Vide
Chaque fois c’est pareil. Il faut plancher. C’est mon tour. Pas moyen d’y échapper. De toute façon j’aime creuser un sujet, et j’aime plancher, c’est juste que j’ai du mal à prendre le temps, à me lancer. Il faut que l’échéance approche, que la pression monte... et il faut trouver un sujet.
Des idées, j’en ai toujours plein la tête, mais jamais au bon moment. La nuit, ou sous la douche, ou dans le train, plop l’idée surgit, tiens ça c’est intéressant, puis suit son chemin, rebondit d’une pierre à l’autre, faudrait creuser y’a peut-être moyen d’en faire une belle planche. Cette fois-ci il faut que je m’en souvienne, alors je fais un effort de mémorisation, j’essaye de relier l’idée à quelque chose pour qu’elle revienne... et à chaque fois c’est pareil, l’idée file, se défile. Il ne reste que le vide. Le vide sur la feuille de papier. Le vide et moi. Le vide en moi. Le vide dans ma tête, le vide dans mon cœur aussi parfois. Le vide dans ma vie. Suis-je vide? voilà un bon sujet, me dis-je naïvement.
Je traiterai le sujet en deux parties. La première partie fait un petit tour du contexte historico-philosophico-scientifique, et laissera place dans la deuxième partie à des considérations plus personnelles.
On s’intéresse au vide dès l’Antiquité. Le débat naît par une expérience d’Empédocle consistant à obstruer l’ouverture située sur le dessus d’un système de clepsydres, ce qui eut pour conséquence d’arrêter l’écoulement de l’eau par l’orifice du bas.
De nombreux penseurs et philosophes s’impliquent dans le débat, et petit à petit deux théories opposées prennent forme. D’un côté, Zénon, Leucippe et surtout Démocrite jettent les bases de la théorie atomistique, qui prévoit que la matière est composée d’atomes minuscules et indestructibles, séparés de vide. De l’autre, Aristote, qui entre nous soit dit était mal inspiré sur ce sujet, se base sur les mêmes expériences que les défenseurs du vide mais arrive à des conclusions radicalement différentes, et défend que la matière est continue et que le vide n’existe pas.
Il faut noter que dans l’Antiquité, les argumentaires pour définir le vide et affirmer son existence ou son inexistence, sont au moins aussi philosophiques que scientifiques. En effet, le vide physique refaçonne toute la perception de la nature touchant à la matière et au temps selon les philosophes antiques.
La trajectoire du vide fait écho à celle des planètes. Sur ces deux sujets, certains penseurs ont vu juste dès l’Antiquité, avec la théorie atomistique d’un côté, et le système planétaire héliocentrique de l’autre. Mais ce sont au final des théories erronées, en l’occurrence l’absence de vide et le continuum de la matière d’Aristote, et le système géocentrique décrit dans l’Almageste de Ptolémée, qui emporteront les débats et seront légués au Moyen-Age via les civilisation arabes et byzantines, non sans subir les influences et déformations – néfastes il faut bien le dire – de la religion chrétienne dès le 4ème siècle après Jésus Christ.
Copernic est le premier à réintroduire l’hypothèse héliocentrique, vers 1530. Galilée reprend et défend catégoriquement cette thèse à partir de 1610, visant dans la même manœuvre à désolidariser l’astronomie de la philosophie naturelle traditionnelle d’Aristote, et ultimement de la théologie catholique. Galilée considère que Dieu a donné aux hommes les sens et la raison pour découvrir la vraie constitution du monde. Il sera censuré par l’Église en 1616 puis condamné en 1633, plus pour son intransigeance et ses moqueries envers le clergé que ses thèses elles-mêmes.
Parallèlement, Torricelli, disciple de Galilée, s’intéresse plus particulièrement aux fluides. A cette époque, on croyait toujours, depuis Aristote, que le vide n’existait pas, car “la nature à horreur du vide”, et que si le vide devait se créait il serait immédiatement rempli par la matière environnante. Par ailleurs, le déplacement des planètes se faisait par la poussée d’un fluide invisible, l’éther.
En 1944, Torricelli va comprendre ce qu’est la pression atmosphérique en retournant un long tube complètement rempli de mercure dans une bassine et constatant que le mercure ne peut s’élever à plus de 76cm dans ce tube. Et au-dessus apparaît le vide.
Blaise Pascal, férvant catholique, poursuivra ces travaux et confirmera l’existence de la pression atmosphérique et du vide en mesure simultanément la hauteur de mercure en haut du Puy de Dôme et à Clermont Ferrand en 1648.
A la même période, Descartes, qui veut pourtant décorreler science et théologie, se trompe radicalement sur le vide car il mélange physique et philosophie. Il rejette le vide et la théorie atomiste, car je cite “il n’est pas possible que ce qui n’est rien ait de l’extension.” Ainsi, selon Descartes, si un vase est vide d’eau, il est plein d’air, et s’il était vide de toute substance, ses parois se toucheraient. Descartes semble croire que le vide aspire, alors qu’en réalité, c’est la pression du non-vide qui pousse ! Il croit également que l’éther fait bouger les planètes et transmet la pesanteur, ce que Newton, pourtant très croyant, contredira dans les années suivantes.
Depuis ces premières découvertes sur le vide, la démarche scientifique a bien évolué, les interférences entre science et conceptions idéologiques se sont estompées, et la compréhension du vide a progressé.
Le vide est l’absence de toute matière. A l’échelle humaine le vide n’est jamais parfait : dans les fin fonds de l’espace interstellaire, la densité de matière reste de l’ordre de 1 atome par centimètre cube. De plus, la mécanique quantique explique que des couples de particules de matière et d’antimatière se créent spontanément dans le vide : il s’agit des fluctuations quantiques du vide. Enfin, les ondes mécaniques ne peuvent se propager dans le vide – il n’y a donc pas de son dans l’espace – en revanche les ondes électromagnétiques (comme la lumière et les ondes radio) ainsi que l’attraction gravitationnelle s’y propagent sans problème.
Par définition le vide n’a pas de température, ce qui n’empêche pas l’énergie d’y circuler, sous forme de rayonnement électromagnétique. Ainsi, un objet placé dans l’espace peut voir sa température varier très brutalement : au niveau de l’orbite terrestre, le rayonnement solaire peut le chauffer très vite à une température de 150 degrés. Une fois à l’ombre, cet objet dissipe son énergie en émettant à son tour un rayonnement, et se refroidit à -120 degrés.
Voilà, nous avons terminé ce tour rapide des aspects historiques et scientifiques. Mais là n’était pas la question. Fini de tourner autour du pot !
Le vide et moi. Le vide en moi. Le vide dans ma tête, le vide dans mon cœur aussi parfois. Le vide dans ma vie. Suis-je vide?
Certains de nos amis courent pour faire le vide dans leur tête. Faire le vide pour se sentir bien dans sa tête et dans sa peau. Cette sensation de vide semble être à l’opposée de l’excitation, cette excitation qui empêche parfois de dormir, parce qu’une échéance importante nous attend le lendemain, ou parce qu’un événement particulier a eu lieu.
Bien sûr, l’état cérébrale est lié à l’état physique. Quand je suis vidé physiquement par un bon footing, que je n’ai pas de douleur, que je fais du yoga pour évacuer le stress, cela m’aide à avoir l’esprit libéré, agile et serein. Au contraire, quand je suis indisposé par un mauvais alcool ou un repas que je digère mal, par un mal de tête ou une douleur au dos, mon esprit est impacté, titillé par ces signaux négatifs.
Mais il est beaucoup de cas où l’état mental n’est pas dicté par le corps. Je ne sais pas pour vous, mais parfois des choses très bêtes m’arrivent. Par exemple cette fois où je partais au ski très tôt le matin, et radio-réveil calé à 4h30. Après m’être couché à 23h, je me suis réveillé vers 2h, et ensuite plus possible de me rendormir, car le cerveau attend l’heure du réveil et a peur de rater la sonnerie. Et voilà que le cerveau tourne de lui-même, se fabrique des histoires, broie du vide. J’ai beau tenter de me relaxer, de me lever prendre un verre d’eau, de me dire que non, je ne raterai pas le réveil, il n’y a rien à faire le bouton OFF reste impossible à trouver. Impossible de faire ce vide, pourtant tellement souhaité.
Parfois, on n’arrive pas à faire le vide. Mais parfois c’est le contraire : nous sommes assaillis par trop de vide.
Certains jours, c’est le vide autour de moi. Ma famille fait comme si je n’étais pas présent, ils parlent entre eux, en japonais, m’excluant. Je me sens seul. Mes amis? Quels amis?! Finalement je n’en ai pas tant que ça. Des gens à qui je peux tout dire. Et avant ça, des gens qui ont du temps pour moi. L’autre soir ma famille était déjà couchée, j’avais envie de passer du temps avec quelqu’un. Pas de partir à la rencontre de nouvelles âmes; non cette fois-ci j’avais envie de me retrouver, de voir un ami avec qui échanger. Mais non, ils habitent trop loin, ils travaillent le lendemain, je ne les connais pas assez. C’est vide autour de moi, et je suis seul.
D’autres jours le vide est plus profond. Il entre en moi. Je me sens vide. Le recruteur à qui j’ai parlé au téléphone m’a demandé “Qu’est-ce que vous savez faire?”. J’avais envie de lui répondre Rien. Oh si, je sais faire plein de choses, j’ai fait plein de choses, j’en ai bien conscience. Mais là j’ai l’impression que ce que je sais ne sert à rien. Peut-être que ce que j’ai, ce que je sais, m’est naturel, me semble normal, ordinaire, donc inutile. Ce que je n’ai pas et que j’aimerais, voilà qui serait utile !
Je me sens vide. Pas seulement vide de capacité, mais aussi vide d’amour. J’ai l’impression que dans un groupe, je suis finalement le premier qu’on oublie, celui qu’on n’invitera pas à la soirée anniversaire, celui qui sera distancié. Bien sûr c’est sans méchanceté, cela se passe naturellement, par le simple fait que l’intérêt n’y est pas ; où peut-être que je suis ennuyeux, ou trop gamin quand je m’amuse, ou trop rigide dans mes idées. Je ne sais pas. Suis-je incompétent en relations humaines? Mon cœur est-il froid?
Le regard des autres me semble essentiel. La semaine dernière, je remets une étude qui m’a été commandée par une banque. On s’était mis d’accord pour 1500 dollars, mais le banquier réponds après avoir lu l’étude qu’il me paiera 1200 dollars, sans aucune explication ni commentaire. Cela m’a touché très profondément. Mon travail ne lui a pas plus? Pourtant je n’ai pas l’impression de l’avoir bâclé. Si c’était simplement moyen, ou un peu hors sujet, il aurait certainement pu me le dire, me demandé de creuser encore ou de corriger le tir. Mais s’il n’a fait aucun commentaire, est-ce parce que mon étude est si mauvaise? Suis-je si mauvais? Cela fait écho avec mes 4 mois de recherche d’emploi sans succès. Je doute, que pense-t-on de moi?
Pour combler ce vide, il me faudrait des gens autour de moi pour me dire que mon travail est bien, que la relation que nous entretenons est bonne, qu’ils apprécient le temps que nous passons ensemble. Il faut que ce soit vrai que ça vienne du cœur. De quelqu’un que je n’apprécie pas, cela ne me touchera pas. De quelqu’un qui en fait trop, cela m’agacera. De quelqu’un trop gentil, trop fleur bleue, ou peut-être un peu simplet dans son jugement, cela me me donnera un court sourire, mais ne me permettra pas de remonter vraiment la pente. Il faut que ça vienne de quelqu’un dont je reconnaisse les capacités de jugement et de franchise. Par exemple de vous, mes FF et mes SS.
D’ailleurs, peut-être avez vous aussi ce vide qui vous assaille. Peut-être avez vous aussi besoin de moi, comme j’ai besoin de vous. Aujourd’hui, je comprends que je dois garder mon cœur ouvert à votre écoute, vous, ma famille et mes amis, et être prêt à vous soutenir dans les moments difficiles, être à vos côtés. Aujourd’hui je le comprends, mais demain, quand j’aurais un travail, que je serai très occupé et que je n’aurais plus le temps de penser ni à moi à ni vous, je risque fort de vous oublier, d’oublier que vous avez peut-être besoin de moi. Alors n’hésitez pas à me le rappeler, à m’appeler, même si je n’ai pas le temps on ira boire un verre ensemble.
Et comme toute bonne planche se doit d’avoir des référence littéraires empruntées aux érudits qui nous ont précédés, je conclurais sur une citation tirée d’une BD de Philippe Geluck intitulée Le Chat : “Quand mon verre est plein je le vide. Quand mon verre est vide je suis plein. Et quand je suis plein on me vide, mais je me plains.”